Désormais il serait un homme

François eut un sursaut. Un serpent le poursuivait, puis prenait une forme de tube de caoutchouc et dansait devant lui en le narguant. Il se glissa ensuite sur ses bras en une caresse glacée. Comme des menottes. Il s'éveilla en se frottant les poignets. Ouf ! ils étaient libres. L'angoisse du rêve ne le quittait pas pourtant. Qu'est-ce qui...? Où était-il ? Ce lit dur... La prison ! Bien sûr, il se retourna à la recherche d'un confort illusoire, sachant que le sommeil ne reviendrait pas cette nuit. Trop d'événements se bousculaient dans ses pensées.

D'abord, il y avait eu le “problème” de Marianne. Elle leur avait caché la vérité pendant longtemps. Puis c'est toute la famille qui s'efforça de ne pas laisser filtrer le secret. Pensez-vous ! la fille du directeur de la campagne nationale de promotion du préservatif, séropositive ! “Avec toutes les précautions d'usage”, lui avait-elle certifié ; et il n'avait pas eu tellement de mal à la croire, tant sa confiance réelle dans le produit était loin d'être ce qu'il affichait publiquement. Il n'était d'ailleurs pas le seul, et dans les milieux de la santé, c'était un secret de polichinelle. Du ministère jusque dans les amphithéâtres, tout le monde semblait jouer le même jeu. On n'avait que ça, rendez-vous compte, alors il fallait bien que ça marche ! C'était tout ce qu'on pouvait faire.

Jusqu'à 15% d'échecs avec le préservatif !

C'est ainsi que sa fille était entrée dans les statistiques. Pas celles qu'on donnait au journal de vingt heures, mais celles qui circulaient dans les revues de l'OMS depuis les années 90 : jusqu'à 15% d'échecs avec le préservatif ! Les publications alarmistes des pro-vie et d'autres fondamentalistes le mettaient en rage. On le savait bien, que le préservatif n'était qu'un mince paravent face à la tornade du sida ! que le virus, 450 fois plus petit qu'un spermatozoïde, trouvait dans le latex des pores jusqu'à 50 fois plus larges que lui, etc... il connaissait tout ça par coeur. Mais qu'est-ce qu'ils proposaient, eux, ces empêcheurs de tourner en rond ? Je vous le donne en mille : abstinence, mariage, fidélité. Rien de moins ! Vous imaginez le promoteur de la campagne nationale anti-sida, se mettant à prêcher la vertu ? Il eut malgré lui un triste sourire, tandis qu'une vague de nostalgie l'envahit. Après tout, c'était bien son parcours à lui, abstinence, mariage, fidélité. Il lui arrivait même d'en ressentir un certain contentement, oh ! intérieurement bien sûr.

Mais il y a 20 ans, si l'on voulait respecter une certaine pudeur en société, il fallait bannir ces trois mots de son vocabulaire. Et maintenant on l'accusait, de quoi, je vous le demande ? De ne pas les avoir prononcés. Et comment allait-il se défendre puisqu'il s'était engagé par contrat à lutter contre le fléau “par tous les moyens possibles” - étant sous- entendu qu'on lui faisait suffisamment confiance pour ne pas transgresser le tabou, car abstinence, mariage et fidélité n'étaient justement pas du domaine du possible ? De bel les batailles juridiques en perspective... Il était évident que François allait servir de bouc émissaire. Les sondages demandaient que justice soit faite, et on ne pouvait pas emprisonner tout le corps médical. Puisqu'il avait eu la parole et s'était montré persuasif et rassurant - ce que tout le monde voulait, hein ! - qu' il se défende lui -même maintenant.

Quand l'éducation de nos enfants nous échappe

Qu'allait-il dire ? Il avait suivi le flot, c'est tout, prôné le seul moyen de prévention officiellement admis. Il n'avait pas la vocation de l'Abbé Pierre, copieusement hué pour avoir prononcé l'un des mots indécents. En plus, c'était son gagne-pain. S'il ne voulait pas le perdre, il fallait parler “correct ”. Mais pourquoi, oh! pourquoi n'avait-il pas, en privé, averti sa fille du danger ? Il se retourna avec une grimace en réalisant à quel moment l'éducation de sa fille lui avait échappé ; elle n'était même pas née ! C'était lorsque, à l'adolescence, François avait pris conscience d'avoir souffert des méthodes autoritaires de son père. Il avait alors juré qu'il ne ferait jamais la même chose. Chacun devait faire ses choix, n'est-ce-pas? Et il avait tenu parole fidèlement. Plus encore : avec une loyauté qui n'avait d'égale que sa stupidité, il réalisait maintenant qu'il avait considéré la terrible inefficacité du préservatif comme un secret d'Etat, dont il s'était défendu de souffler mot à sa famille la plus proche. La tranquillité de la nation ne reposait-elle pas sur lui ?

Promoteur du mensonge organisé

La vie était devant lui, en miettes ; une vie de compromis et de lâcheté, analysait-il. Il n'avait jamais bravé ouvertement l'autorité de son père, sans pour autant l'accepter ; leurs relations étaient devenues plus que superficielles : polies. Il n'avait jamais bafoué la morale dans sa vie personnelle, tout en se gardant de la partager avec d'autres. Mais... qu'avait-il à faire avec le Christ de son enfance dans sa vie de tous les jours ? Il se contentait de l'appeler à l'aide en dernier recours, après avoir épuisé toutes ses autres ressources comme il l'avait fait pour Marianne, par exemple. D'ailleurs, s'arrêta François tout-à-coup, voilà qui était curieux : n'avait-il pas été exaucé ? Après la révolte et toutes sortes de phases de désespoir, de rage de vivre, de désespoir à nouveau, elle avait trouvé ces dernières années une sérénité étonnante. A dire vrai, Marianne semblait même avoir reçu plus que la paix, la source de la paix en elle, car elle s'était mise à parler de Dieu, et, comble d'ironie, avait dit une fois à son père qu'elle priait pour lui. Maintenant, maintenant seulement, François réalisait combien sa fille avait vu juste et combien il avait besoin de ses prières. Maintenant surtout, il découvrait avec effarement qu'il n'avait pas été seulement la victime du système. Il avait été le complice et le promoteur du mensonge organisé. Certainement, si Dieu le voyait, misérable au fond de son trou, il ne devait pas être fier de lui. Oh ! pardon, pardon... Dieu comprendrait-il que cette fois-ci, c'était du fond du coeur ? Qu'il n'y avait plus de trace d'autosatisfaction, mais la conscience terriblement douloureuse d'être perdu ? Il en eut si mal qu'il crut défaillir.

S'il ne mourait pas sur le champ, il n'avait plus que deux solutions : l'endurcissement total, la perte définitive de toute conscience - ou une reddition totale. La reddition avait un risque cependant : il fallait abandonner ses droits pour s'en remettre au bon vouloir d'un Dieu lointain. En somme, Dieu était libre d'accorder sa grâce ou de la refuser. Grâce... c'est cela ! Marianne en parlait, elle aussi. C'était son seul espoir. Impossible qu'il rachète, même par sa condamnation, le crime qui avait sacrifié une génération. Il en était incapable, et à quoi bon d'ailleurs ? Il ne valait pas mieux que les autres et n'aurait que ce qu'il méritait.

Mais les paroles de Marianne prenaient un sens nouveau: “Jésus-Christ a payé pour moi”. C'est ainsi qu'il pouvait avoir la paix avec Dieu; parce qu'un juste - et pas un dégonflé - s'était porté volontaire pour payer par ses souffrances et par sa mort les conséquences du crime. Il n'y avait pas d'autre issue et François, par un oui personnel, accepta pour la première fois l'injustice historique qui rétablissait la justice dans sa vie. Il réalisait déjà que ce nouveau chemin n'allait pas être le plus facile, mais c'était désormais son choix et non plus celui des autres.

Au lieu de la panique, une grande paix

Il se leva et, d'un pas lent mais ferme, s'avança jusqu'à la porte de sa cellule. “Coupable, Votre Honneur”, dit-il tout haut pour répondre à la question imaginaire. “Coupable ?” répéta dans son esprit une petite voix alarmée. En un éclair il vit à l'avance les titres de journaux, les regards des voisins. Pourtant, au lieu de la panique, une grande paix l'envahit. Le Christ allait comprendre, lui le rejeté, le bouc émissaire par excellence. C'est sûr, il serait avec lui.

Lorsqu'on vint le chercher pour la première audition, il fut à peine étonné de sentir sur son épaule une main ferme, et d'entendre à son oreille une voix qui disait : “Courage, François”. Désormais, il serait un homme.

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